Mort ou vif
Il m’a fallut un certain temps pour me rendre compte qu’au fil de mon travail, je manipulais essentiellement des matières mortes, ou inertes. Les bois flottés ont perdu leur vie après leur long passage en mer, les coquillages, cosses ou oursins eux aussi se sont vidés, les fleurs ont séché, les graines également, les pièces de crabe ne sont plus que des enveloppes creuses.
Tous ces éléments que je glane ont souvent séché au grand air, au soleil, ils ont perdu leur influx vital et ne sont parfois que l’ombre d’eux-mêmes. Mais dans cette ombre je trouve les traces de leur essence, de ce qui les a animés. A mes yeux, ils sont encore mus par une force qui conserve leur forme, leur potentiel, leur éclat parfois.
C’est pour cela, je pense, qu’il m’a fallut un peu de temps pour réaliser que pour nombre de personnes, ces éléments, cette matière première, n’est souvent pas d’un grand intérêt, ou en tout cas elle n’est pas remarquable. Terne, abîmée, fragilisée, salie, délaissée, cette matière a peu d’attrait.
Pourtant à y regarder de près, ces samares d’érables, cosses de genêt, écailles de pin ou de tulipier, galle du chêne et tant d’autres sont des éléments très résistants, qui peuvent demeurer inchangés même après avoir passé du temps dans la boue, sous la pluie. Mais leur fonction même inclut cette solidité, qui va protéger les graines, les préserver durant l’hiver et jusqu’au printemps. Leur structure doit être robuste et coriace, même ! Je n’ai cité que quelques variétés mais il en existe plein d’autres, de nos régions, qui résistent même si on les piétine, qui résistent au gel et à plein d’autres atteintes.
Une fois qu’on a dépassé le premier regard qui nous informe de leur saleté, leur état abîmé parfois, on peut observer leurs formes géométriques, leur régularité, leurs surprenantes facettes, structure, textures. Je pense à la gousse de l’agave, mais aussi à la mandibule de l’oursin, ou aux enveloppes des graines de l’arbre pluie dorée. Dans chaque structure on retrouve le travail géométrique de la nature, des formes qui se répètent avec régularité, et que l’or, bien sûr, magnifie sans peine.
Pour apprécier ces constructions géométriques je vous conseille de regarder les très belles photos du photographe allemand Karl Blossfeldt (1865-1932).
C’est donc en prenant du recul sur mon travail que j’ai compris que j’utilisais presque systématiquement des éléments morts, ou du moins sec (parfois contenant des graines bien vivantes), des sortes de déchets de la nature, qui ont laissé derrière leur plus belles couelurs mais qui ont conservé leurs qualités de matière, de géométrie, de solidité, et leur capacité à inspirer.
Ils sont devenus une sorte de matière brute, perdant leur sève, leur éclat, sans pour autant devenir du compost ou de la poussière. C’est bien cette matière qui m’inspire par son potentiel, ces structures que j’assemble pour recomposer d’autres formes.
Ce n’est pas une pratique nouvelle en soi. Les artistes du mouvement land art se sont tout pareillement servis d’emprunts à la nature (bois, pierres, lianes,…) pour recomposer d’autres formes, transmettant des messages différents. La (grosses) différence est qu’il s’agit en général de créations de grande taille qui poussent à l’immersion.